Auteur: Luc Deitz
Bibliothèque nationale de Luxembourg

 

 

Les " Libri naturalis historiae " de Gaius Plinius Secundus l'Ancien (23/4 - 79 août après Jésus-Christ [éruption du Vésuve]) sont l'ouvrage en prose le plus étendu qui nous a été transmis de l'antiquité latine. Après le premier livre, qui forme une entité à part - il comprend des index détaillés, les listes des sources consultées pour chacun des 36 livres suivants, et des statistiques concernant les sujets traités -, l'auteur y déploie une " histoire naturelle " répartie sur deux volets de 18 livres chacun. La première partie comprend : un livre traitant de cosmologie et d'astronomie ; un livre traitant d'anthropologie ; quatre livres traitant de zoologie ; et huit livres traitant de botanique (au livre 13, chap. 68-88, le fameux passage sur la production du papyrus). Dans la seconde partie, on trouve huit livres traitant des remèdes à base végétale ; un livre traitant des remèdes préparés par main d'homme ; quatre livres traitant des remèdes à base animale ; et cinq livres traitant de métallurgie et de minéralogie (au livre 35, chap. 15-28, une histoire de la peinture).

Même si, en 1887, Theodor Mommsen pouvait encore caractériser Pline comme un " compilateur de mauvais aloi ", la recherche des 40 dernières années a montré qu'il n'était nullement un copieur dépourvu d'esprit et d'originalité, mais qu'après un siècle de pax Romana universelle, il voulut rassembler et transmettre un canon de culture générale considéré comme complet et achevé. Dans l'encyclopédie de Pline, les expériences personnelles, qu'on peut mettre en rapport avec un événement historique précis (p. ex. la description d'une éclipse de soleil), côtoient l'évocation de phénomènes supra-temporels, et l'évidence du vécu est parfois assombrie par des rumeurs d'origine incertaine. Selon la déclaration expresse de leur auteur, la " Naturalis historia " a pour but " de toucher à tous les sujets que les Grecs considèrent comme faisant partie de l'encyclopédie " ; partant, elle se propose d'esquisser les liens universels existant entre les branches du savoir qu'un homme cultivé se devait de connaître. Pline concède que " sa matière est aride, peu idoine aux belles lettres, encore que non dépourvue d'élaboration stylistique. Néanmoins, il lui attribuait une importance proprement vitale : rerum natura, hoc est vita, narratur. Ce n'était pas la nature qui parlait en racontant une histoire, ou même son histoire ; c'était l'auteur qui la faisait parler, l'auteur, qui, dans la mesure de ses moyens, était créateur comme elle " (A. Borst). Tel un leitmotiv, l'opposition fondamentale entre la nature pérenne et l'homme éphémère ne cesse de résonner en sourdine dans la composition bariolée qu'est la " Naturalis historia " : de la durée limitée de la vie de l'homme, ainsi que de sa capacité d'apprendre, Pline déduit la sommation, répétée avec insistance, que l'homme doit utiliser avec conscience et responsabilité le cadeau le plus précieux que lui a fait la nature : le temps.

L'histoire de la transmission de la " Naturalis historia " n'est pas encore connue avec toute la précision souhaitable. Selon Birger Munk Olsen, le texte, dont on n'a gardé aucun témoignage sur papyrus, seulement quelques fragements épars sur parchemin remontant au 5e siècle, et quelques rares extraits plus substantiels datant du 8e siècle, n'aurait pas été disponible dans son intégralité avant le 12e siècle. Symmaque avait encore en sa possession un codex complet, peut-être en parchemin, qu'il envoya de Rome à Trèves pour son ami, le poète Ausone (allusions à Pline p.ex. Mosella, vers 50-51, 362-63, 378-79). Témoin important de la troisième période de la transmission du texte, l'actuel manuscrit 138 de la Bibliothèque nationale de Luxembourg, écrit à l'ancienne abbaye d'Orval, contient le texte intégral des 37 livres de l' " Histoire " de Pline.

Bien que la première édition de Pline fût publiée à Rome en 1470, Hartmann Schedel ne le connaissait pas encore comme auteur de la " Naturalis Historia " (cp. Liber chronicarum, fol. 111r). Notons, à titre de curiosité, que l'énergique jésuite Jean Hardouin (1646-1729), qui considérait la littérature ancienne dans son intégralité comme un corps de faux écrits au bas moyen âge, n'excluait de son verdict que les " Epîtres " d'Horace et l'" Histoire naturelle " de Pline (dont il procura même une édition, parue en 1685 en quatre volumes in-folio). Flaubert s'inspira chez Pline pour décrire les escarboucles d'Hamilcar dans " Salammbô ", alors que J.L. Borges alla puiser au huitième livre de l'" Histoire naturelle " quelques-uns des êtres fantastiques décrits dans son " Libro de los seres imaginarios " : le phénix, le basilisque, le catoblépas, la salamandre, la licorne, e.a.

Une biographie intellectuelle de Pline, ainsi qu'une appréciation de l'influence de son œuvre dans les temps modernes, restent toujours des desiderata. La meilleure étude, et de très loin, sur son importance pour le moyen âge est celle qui lui a été consacrée par Arno Borst, Das Buch der Naturgeschichte : Plinius und seine Leser im Zeitalter des Pergaments, Heidelberg 1994 (= Abhandlungen der Heidelberger Akademie der Wissenschaften. Philosophisch-historische Klasse, 1994/2).

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